dimarts, 14 d’octubre del 2008

Debat del Litoral a Corsèga

Analyse
La querelle foncière repart en Corse, par Jean-Louis Andreani
LE MONDE 13.10.08 13h20 •
L'opinion publique a suivi les péripéties de l'occupation de la villa corse de Christian Clavier, fin août, sans percevoir, le plus souvent, qu'elle assistait à un épisode people d'une âpre bataille insulaire : celle du foncier. Le permis de construire d'abord accordé au publicitaire Jacques Séguéla, puis annulé par le tribunal administratif de Bastia jeudi 9 octobre, a aussi attiré l'attention sur ce sujet, qui pourrait dominer la campagne des élections territoriales (régionales) de 2010
.La question de l'aménagement du littoral, et, au-delà, du patrimoine naturel, est ultra-sensible en Corse depuis des décennies. Aujourd'hui la tension, entre ceux qui donnent la priorité à la protection de l'environnement, et les promoteurs d'un développement appuyé sur le tourisme balnéaire, est plus vive que jamais. Cette confrontation s'exprime depuis quelques semaines par des polémiques acerbes, assorties de menaces de recours aux tribunaux, autour du projet de Plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc), élaboré par la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et rendu public pendant l'été.
Deux ans après son élection, en 2004, à la présidence de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), Camille de Rocca-Serra (UMP) avait déclenché un tollé chez les défenseurs de l'environnement, en affirmant, dans Le Monde du 3 avril 2006, qu'il fallait "absolument désanctuariser" l'île. Pour les détracteurs de l'ancien maire de Porto-Vecchio, le contenu du Padduc confirme cette orientation. Dès sa divulgation, les protestations ont repris. Elles n'ont fait qu'enfler au fil des semaines et ont conduit le président du Conseil exécutif de la CTC, Ange Santini (UMP), à réaffirmer début septembre que ce document est bien "un plan au service du vrai développement de la Corse, et des vrais intérêts des Corses".
Le Padduc en tout cas, tel qu'il a été publié, s'en prend de front aux environnementalistes, mais aussi à l'Etat. Ainsi les services préfectoraux ont publié un "atlas de la loi littoral", qui définit les espaces proches du rivage (EPR) et les zones remarquables. Ces deux catégories sont essentielles, car dans le cadre de la loi littoral, elles déterminent les possibilités d'urbanisation. Cet atlas est une référence pour l'Etat, notamment devant les tribunaux, dans le contentieux d'urbanisme. Le Padduc, ostensiblement, n'en tient pas compte. Il rétrécit en plusieurs endroits les EPR et définit des zones remarquables plus restreintes.
Autre singularité, la philosophie du texte semble entraîner sa fragilité juridique. Au nom de "l'attachement au principe de subsidiarité", le Padduc précise qu'il "ne peut interférer avec ce qui relève de la compétence d'urbanisme des collectivités locales", notamment les Plans locaux d'urbanisme (PLU, ex-POS) communaux. Or, en Corse comme ailleurs, les PLU doivent être compatibles avec le schéma régional, et non l'inverse. Ce que rappelle, au demeurant, un autre passage du Padduc.
De façon plus générale, le document est imprégné du souci manifeste d'alléger les contraintes liées à la loi littoral. Dans le passé, l'Etat a déjà repris la main vis-à-vis de documents d'aménagement, rédigés dans le même esprit. En 1990, le préfet de région avait fini par superviser la rédaction du précédent schéma régional, déjà confié en principe aux élus. A l'époque, l'entourage du ministre de l'intérieur Pierre Joxe (PS) affirmait que, si les orientations premières s'étaient traduites dans les faits, "dans vingt ans, les côtes de Corse auraient été couvertes d'un mur de béton. Enfin, un mur de béton ébréché par les bombes...". Près de deux décennies après cet épisode, la question se repose, presque dans les mêmes termes.
Si l'Etat est fidèle à sa doctrine, le Padduc devrait donc connaître un sort comparable à son prédécesseur. Mais l'implication personnelle de Nicolas Sarkozy pourrait changer la donne. Personne en Corse n'ignore sa proximité politique avec MM. de Rocca-Serra et Santini. Est-ce la raison du choix, par ces derniers, d'un choc frontal avec les défenseurs du littoral ? Le 30 septembre, le Conseil des sites de Corse, présidé par le préfet de région, a émis un avis favorable, assorti de réserves et remarques. M. Santini a annoncé que le Padduc serait amendé pour les intégrer.
Quoi qu'il en soit, les nationalistes "durs", en perte de vitesse politique, ont sauté sur l'occasion que leur offrait le Padduc : en rejoignant le "front du refus" qui regroupe des dizaines d'organisations, de la CFDT à l'antenne insulaire de Surfriders, ils tentent de revenir sur un terrain qui leur avait réussi dans les années 1980. Leurs militants clandestins s'étaient alors spécialisés dans la destruction de constructions touristiques illégales.
Les polémiques sont d'autant plus vives que la querelle foncière se nourrit aussi des conséquences pour la population de la spéculation immobilière. Comme dans d'autres zones touristiques, la flambée des prix produit un effet d'éviction au détriment des Corses ordinaires. Ceux qui n'ont pas de terrain en bord de mer à vendre à prix d'or, et ont du mal à se loger. Compte tenu des spécificités locales, cette tension est très mal vécue dans l'île.
Quant au bétonnage du littoral, Padduc ou pas, d'ici quelques décennies, le débat pourrait s'éteindre de lui-même : si la tendance actuelle n'est pas inversée, en dehors de la bande des 100 mètres et des zones sanctuarisées par le Conservatoire du littoral, les côtes, mais aussi les collines derrière elles, seront urbanisées à moyenne échéance, de façon plus ou moins intense. Depuis plusieurs années, le mitage de ces collines va bon train. C'est notamment le cas autour d'Ajaccio, Ile-Rousse, Porto-Vecchio, où le paysage n'est déjà plus vraiment préservé. Ce phénomène s'amorce autour de Bonifacio. Il est le fait de Corses aussi bien que de continentaux.
Dans un contexte de laxisme de l'Etat entrecoupé de bouffées de fermeté, aggravé par l'asphyxie, comme partout en France, des services de contrôle de la légalité, les garde-fous légaux semblent inefficaces. Longtemps éclipsé par les polémiques autour des infrastructures touristiques sur le littoral, ce grignotage suscite des inquiétudes de plus en plus vives. En caricaturant à peine, la Corse risque d'être un jour entourée d'une ceinture de constructions souvent médiocres et désordonnées, certes derrière les plages, tandis que seul l'intérieur de l'île, magnifique mais vide d'habitants, avec de belles maisons anciennes abandonnées, conserverait sa beauté sauvage. Au-delà des polémiques sur le Padduc, les Corses doivent savoir quel visage ils veulent donner à leur île.
Courriel : andreani@lemonde.fr.
Jean-Louis Andreani (Editorialiste)