dissabte, 24 de novembre del 2007

14 novembre 2007 .Comment prononcez-vous Colonna?.Le Monde

14 novembre 2007
Comment prononcez-vous Colonna?
Le président de la cour d’assises spéciale de Paris, Dominique Coujard, passe régulièrement ses vacances en Corse. Il a même l’air de bien connaître la région de Cargese. Cet été, alors qu’il préparait le dossier de l’assassinat du préfet Claude Erignac dont est accusé Yvan Colonna, il a préféré s’abstenir.
Mais il aime l’île et cela s’entend. Dès le premier jour, lundi 12 novembre, quelque chose a frappé. Il a évoqué “les faits de Pietrosella”,sans prononcer le “a”, cité le nom d’Alessandri, en appuyant sur le “an” et d’Andriuzzi, en effaçant le “i”. Sur “Colonna”, il alterne, parfois avec, parfois sans le “a”. A croire qu’il prononce comme il doit instruire, à charge et à décharge.
L’accent est, pour l’heure, ce qui sépare le plus nettement les deux côtés du prétoire. Au siège du ministère public, où ont pris place les avocats généraux Yves Jannier et Christophe Teissier, on francise nettement les noms: “Colonnah”, “Cuunconltah nassionné”. A gauche, où quatre des cinq avocats d’Yvan Colonna, sont corses, on entend “Councolt’ nazzzion’ ”. On n’en est pas encore au “préfet de la République” d’un côté et au “représentant de l’Etat français” de l’autre, mais on s’en est un peu approché.
Au président qui lui demandait de commenter cette phrase d’un ancien président de la République, “le nationalisme, c’est la guerre”,Yvan Colonna a répondu: “Moi, je fais la différence entre le nationalisme d’Etat constitué, comme la Serbie, ou même chez vous en France, quand dans la campagne présidentielle, on sort le drapeau tricolore et qu’on chante la Marseillaise. Alors que chez nous, en Corse, c’est un nationalisme de résistance parce que la langue corse, le peuple corse ne sont pas reconnus”.
De politique et d’engagement militant, on a commencé à parler, au cours de cette deuxième journée d’audience. Devant la cour, Yvan Colonna revendiqué ses idées nationalistes - “j’ai le sentiment inébranlable d’appartenir à un peuple, le peuple corse”, a-t-il déclaré. Tout en démentant la “radicalité” de l’engagement qui lui est prêtée par l’accusation, il a affirmé: “J’ai été militant, je ne le suis plus mais je reste un patriote corse”.
Autant Yvan Colonna est apparu combatif lorsqu’il s’exprimait sur ses convictions politiques, autant il a semblé mal à l’aise dès lors que l’interrogatoire approchait sa vie privée. Pudique, l’homme n’apprécie guère les incursions judiciaires dans sa petite enfance et son adolescence. Tout juste a-t-il évoqué la rupture qu’avait représenté, pour lui, le départ de la famille sur le continent, sur décision unilatérale du père professeur de sport qui voulait poursuivre sa carrière à Nice. Yvan Colonna était alors adolescent.
“Pour moi, ça a été un déchirement, a-t-il confié.
- Pourtant, Nice, ce n’est pas très loin…, a observé le président.
- Oui, mais ce n’est pas la Corse”, a répondu l’accusé.
Son bac en poche, le jeune homme s’était inscrit à la faculté pour commencer des études susceptibles de le mener, comme ses parents, à l’enseignement du sport. Mais comme sa soeur aînée, Christine, et son frère cadet, Stéphane, il a finalement tout plaqué pour rejoindre son île et le berceau familial de Cargèse.
Le président voudrait bien s’arrêter un peu sur ce moment de sa vie:
- “Ce désir de retourner en Corse, vous l’avez analysé?
La réponse tombe, abrupte:
- J’avais envie de rentrer chez moi, c’est tout”.
A Cargèse, où il a fait la connaissance d’un vieux berger, il décide avec son ami Pierre Alessandri de se lancer à son tour dans l’élevage de chèvres.
- Mais vous aviez fait des études, vous aviez un potentiel. Sur le continent, on appellera cela un retour baba cool, observe Dominique Coujard.
- Alors, disons que j’ai mis mon potentiel au service des chèvres”, réplique avec ironie Yvan Colonna.
- Et cet élevage, ça vous fait vivre à l’époque?
- Oui, ça va.
Sa prise de distance avec le militantisme nationaliste actif, au sein de la Cumsulta di Comitati naziunalisti (CCN), puis de la Cuncolta, il la date de la naissance de son fils, Ghjuvan Battista, en 1991, à un moment où son activité de berger l’occupe pleinement. Les règlements de comptes sanglants entre fractions nationalistes n’ont elles pas compté, elles aussi, dans cet éloignement, veut savoir le président?
-“Je ne suis pas là pour parler de cette période noire. Les affrontements, évidemment, je les regrette. Mais l’analyse que j’en fait, c’est que dans toutes les guerres de libération, à un moment donné, il y a des affrontements fratricides”.
A Cargèse, où Yvan Colonna est de toutes les manifestations culturelles identitaires, on n’ignore rien de ses idées. Les jeunes du village, qu’il entraîne au foot au sein de l’association sportive, l’admirent. Et les plus vieux apprécient celui qui ne manque jamais une occasion de venir s’entretenir en corse avec eux.
- Vous avez élevé votre fils dans la langue corse? l’interroge le président.
- Je n’ai jamais parlé français avec mon fils. J’essaie, mais ça ne vient pas.
Aujourd’hui âgé de seize ans, Ghjuvan Battista a annoncé cet été à sa famille qu’il avait décidé de ne pas retourner à l’école pour reprendre la bergerie de son père.