dissabte, 24 de novembre del 2007

Au procès d'Yvan Colonna, récits morcelés d'une nuit sombre

Au procès d'Yvan Colonna, récits morcelés d'une nuit sombre
LE MONDE 22.11.07 15h06 • l faisait froid, la nuit était tombée et la rue était sombre, ce 6 février 1998 à Ajaccio. Dans la rue Colonel-Colonna-d'Ornano, le préfet Claude Erignac se pressait pour rejoindre son épouse au concert. Sur le seuil du théâtre, l'un des organisateurs de la soirée guettait son arrivée pour l'accueillir. Au même instant, une femme et sa fille remontaient la rue en voiture pour se rendre chez une parente. Au restaurant d'en face, un couple s'était attablé près d'une fenêtre pour dîner. Non loin du théâtre, un jeune homme garait son scooter. Une dame rejoignait le lieu du concert. Un ancien commissaire des RG quittait à pied une réception amicale. Quelques paires d'yeux pour un assassinat.

Devant la cour d'assises de Paris, du lundi 19 au mercredi 21 novembre, cette poignée de témoins est venue livrer ses souvenirs. Ils ont entendu plusieurs détonations, cinq le plus souvent, aperçu des hommes, deux, plus rarement trois. Grand ou de taille moyenne, brun ou blond, massif ou mince, jeune ou moins jeune. Chacun tient un bout de la scène du meurtre, mais la mémoire convoquée dans le prétoire n'est pas toujours la même que celle sollicitée dans l'instant. Une seule chose les rassemble : aucun d'entre eux n'a reconnu Yvan Colonna.
"JE PEUX MIMER LA SCÈNE"
De tous les témoins, Joseph Colombani est le seul à avoir assisté en direct à la mort du préfet. Claude Erignac était son ami, il l'attendait. "Si vous voulez, je peux mimer la scène", a-t-il dit. Dans le prétoire, il fait quelques pas, son corps vacille vers la droite, revient courbé en deux, titube, avance encore et fait mine de s'écrouler sur le sol. Joseph Colombani a vu deux hommes près du préfet, dont le tireur. Il était à 25 mètres. "Je ne peux pas mettre un nom sur les deux personnes que j'ai vues ce soir-là. J'ai vu Yvan Colonna pour la première fois le soir où il a parlé sur TF1 (juste avant sa cavale). Je l'ai bien regardé. Il n'y a pas eu le "tilt" que vous avez quand vous vous dites que vous avez déjà vu cette personne. Aujourd'hui, je le regarde et je n'éprouve pas ce déclic. Je le regrette."
Marie-Ange Coutard est un autre témoin clé. Elle aussi n'a aperçu que deux hommes, un brun et un blond. Cela fait neuf ans que l'on répète à cette belle jeune femme qui remontait la rue en voiture au côté de sa mère Noélie, qu'elle est la seule à avoir dévisagé le tireur. "Quand on est arrivées à sa hauteur, je l'ai vu tirer par terre. J'ai dit à ma mère : "Tiens, c'est bizarre", parce qu'en Corse, la coutume, c'est de tirer en l'air", explique-t-elle. De ces quelques secondes, il lui reste en mémoire "un regard et des gestes parce qu'il manipulait son arme et en même temps, il me regardait". Comme sa mère, elle est "formelle" : Yvan Colonna ne ressemble pas à l'homme qu'elle a vu ce soir-là. "A partir du moment où on m'a montré sa photo et que j'ai dit que ce n'était pas lui, j'ai eu l'impression qu'on ne me croyait plus, que j'avais dit quelque chose qui gênait", ajoute-t-elle.
Joseph Arrighi, ancien commissaire des RG, se souvient d'avoir entendu des tirs puis d'avoir été dépassé dans la rue par deux hommes qui avaient été rejoints par un troisième avant de disparaître. "Etes-vous en mesure de décrire ces trois hommes ? - Non, je les ai vus de dos." Sur les bancs de la défense, jour après jour, on accumule.
Pascale Robert-Diard