dissabte, 24 de novembre del 2007

Roger Marion, un flic à la barre

Roger Marion, un flic à la barre
LE MONDE 23.11.07 es mots, Roger Marion aime les choisir, les accommoder, les manipuler. L'ancien patron de la division nationale antiterrorisme (DNAT) pense à ceux qu'il va prononcer devant la cour d'assises spéciale de Paris, lundi 26 novembre. Ce jour-là, son tour viendra de témoigner dans le procès d'Yvan Colonna, accusé d'avoir tué le préfet Claude Erignac, à Ajaccio, le 6 février 1998. Il a lu, relu, souligné de bleu les deux rapports qu'il a rédigés en 1998 et 1999 sur l'affaire, en pestant : "Cette phrase, je n'aurais pas dû l'écrire comme ça..." Il se rattrape aujourd'hui avec des mots qui claquent : "Colonna, je pense pouvoir le faire condamner. Les Corses, c'est les spécialistes des faux alibis."
ifParcours
1947Naissances à Castres (Tarn).
1978Commissaire principal à Toulouse.
1990Chef de la division antiterroriste à la police judiciaire.
1999Directeur central adjoint de la police judiciaire.
2002Préfet, il quitte la police.
2007Témoin au procès d'Yvan Colonna. Publie son autobiographie.
Des mots moins triés que ceux qu'il a couchés dans un livre écrit avec le journaliste Francis Zamponi, On m'appelle Eagle Four (Seuil, 186 p., 16 €, à paraître fin novembre) - en référence au surnom que lui avaient donné ses hommes, "Y gueule fort". Un plaidoyer pro domo dans lequel il se justifie de ne pas avoir arrêté le berger de Cargèse en même temps que les membres du commando Erignac.
Ceux qui ont travaillé avec lui à la DNAT se souviennent. Des heures à retaper les procès-verbaux parce qu'une majuscule (ou une minuscule) manquait. De l'affection maniaque de Roger Marion pour des mots comme "tapuscrit". Et de sa férocité. L'un de ses subordonnés qui avait demandé de retourner dans sa région de Nice s'est vu gratifié d'un avis administratif d'un nouveau genre : "Mutation pour cause héliotrope." Comme une plante qui se tournerait vers le soleil. Roger Marion, 60 ans, c'est d'abord un style, apprécié ou haï.
"Oui, je suis tatillon, oui à l'excès", admet-il. La faute à sa passion pour la PJ (police judiciaire) et la procédure pénale. "Des résultats, clame l'ancien commissaire avec son accent du Sud-Ouest, ça se fait en mettant son nom sur un PV, à visage découvert." C'est ce qui lui a plu dans ce métier, et aussi "la recherche intellectuelle, l'identification des auteurs de crime..."
Fils d'un cheminot et d'une vendeuse de porcelaine, il rate le bac, s'engage dans une prépa militaire chez les paras, s'envole avec son régiment en Centrafrique au pays de Bokassa, et, alors que la Sorbonne s'embrase, "a l'honneur de servir le méchoui au futur empereur le jour de la fête nationale". Il repasse le bac avec succès, se présente au concours d'officier de police adjoint, en sort deuxième, est affecté au SRPJ de Bordeaux. Opiniâtre, il poursuit. Et sort vice-major de l'Ecole des commissaires en 1976, avant de rejoindre Toulouse.
De ce moment, ce grand séducteur ne cessera de gravir les échelons jusqu'à devenir patron de l'antiterrorisme, directeur central adjoint de la police judiciaire, puis préfet. Nulle part il ne passe inaperçu, ses méthodes non plus. Avec lui, les baffes en garde à vue n'ont rien d'exceptionnel. Et même davantage. Il a prévu qu'on lui poserait la question. "A Toulouse, un noyau d'extrême gauche faisait toujours sauter quelque chose. Un jour, c'était une salle de Colomiers où Le Pen était attendu..." On l'interrompt. Il coupe : "Attends !" Poursuit : "On a trouvé les responsables, des anars qui ne voulaient pas répondre ni même se laisser signaliser (prise d'empreintes et de photos). Donc, on a eu recours à la force. De là vient ma réputation."
Mais d'autres témoignages sont venus. Arrêtée en novembre 1998, Stella Castela garde un souvenir précis de sa garde à vue. "Au troisième jour, raconte l'ex-compagne du nationaliste Jean Castela, également citée au procès Colonna, Marion est entré dans la pièce. Une vraie caricature : costume trois pièces et pouces passés dans le gilet. J'étais sur une chaise, menottée les mains dans le dos. Il s'est plaqué derrière moi et m'a passé les mains dans les cheveux d'une façon visqueuse..." Après la parution du livre Place Beauvau, (Robert Laffont, 2006) dans lequel trois journalistes dénonçaient ses brutalités, une enquête de l'inspection générale de la police nationale admettra les coups, mais blanchira la DNAT des accusations de torture.
On le dit parano. Il rétorque : "Dans ce métier, on est entre spécialistes, on vit dans un monde clos." Puis il admet : "Moi, j'y suis resté peut-être un peu trop longtemps." Quarante-trois de ses hommes demanderont leur mutation. "El garote !, s'exclame Roger Marion. Le but était de m'asphyxier ! Dans les dix nouveaux hommes que m'avait promis Claude Guéant (alors directeur général de la police), on ne m'avait envoyé que des brèles. Et les RG ont toujours récupéré ceux que j'avais saqués. C'étaient des indics." Plus que d'autres, Roger Marion incarne la guerre des polices, parvenue à son paroxysme avec l'affaire Colonna, où il ira jusqu'à accuser Dimitrius Dragacci, ancien patron du SRPJ d'Ajaccio, d'avoir permis la fuite d'Yvan Colonna en prévenant son père. Encore un procès en vue, pour diffamation, cette fois.
Son entregent, mais aussi son énorme capacité de travail le font apprécier des politiques. Remarqué au début de sa carrière pour avoir géré avec doigté l'assassinat de l'amant de l'épouse du président gabonais Omar Bongo, il obtient des résultats. Dans les attentats de 1995, il exigera l'expertise de la bouteille de gaz retrouvée sur une ligne de TGV et les empreintes mèneront à Khaled Kelkal. Il sortira la 6e division chargée de la lutte antiterroriste, devenue plus tard la DNAT, de sa torpeur. Il pèsera sur les magistrats antiterroristes. Homme des réseaux Pasqua, il sait s'adapter. L'ancien ministre de l'intérieur Jean-Pierre Chevènement le fit chevalier de la Légion d'honneur. "J'ai toujours considéré Marion comme un bon chien de chasse, dit-il. C'est lui qui a fait craquer deux des prévenus qui ont désigné Colonna comme le tueur. Il craignait beaucoup la porosité des services de police en Corse et il n'avait pas tort."
Nicolas Sarkozy mettra pourtant fin à sa carrière de policier en le nommant préfet à Marseille, à Lille, puis sans affectation du tout. Mais Marion connaît bien Claude Guéant qui, affirme-t-il, lui aurait proposé en 2002 de "rentrer dans le cabinet" du ministre de l'intérieur. Leur récente rencontre, révélée par Le Point, a valu à l'actuel secrétaire général de l'Elysée d'être soupçonné de subornation de témoin et d'être cité, lui aussi, dans le procès Colonna. Guéant aurait conseillé à Marion de bien préparer son audition. De fait, chaque fois que l'ancien patron de la DNAT a dû témoigner dans un procès, sa prestation a tourné à la catastrophe. C'est curieux, il paraît alors chercher ses mots.
Isabelle Mandraud