dissabte, 24 de novembre del 2007

De l' usage des témoins,au procès Colonna.Le Monde

De l’usage des témoins, au procès Colonna
Sur les épaules de Noélie et Marie-Ange Coutard pèse une responsabilité écrasante. Le soir du 6 février 1998, vers 21 heures, la mère et la fille remontaient en voiture la rue Colonel Colonna d’Ornano. Elles ont alors assisté, sans le savoir, à l’assassinat du préfet. Marie-Ange est la seule à avoir pu dévisager le tireur. Quelques secondes qui ont fait basculer sa vie. Pendant plusieurs années, elle a vécu au rythme des convocations et des interrogatoires en rafales chez les policiers et chez les juges antiterroristes. Elle a répondu à des centaines de questions. On lui a soumis des dizaines de photos. Et la revoilà, une fois de plus, avec sa mère, devant une cour d’assises.
Noélie Coutard est la première à déposer. “J’ai entendu des coups de feu. Je croyais que c’était une personne qui s’amusait avec des pétards. J’ai vu deux personnes. Il y avait aussi une dame avec un caniche au pelage beige”.
- Vous avez vu le tireur de profil?, lui demande l’avocat général.
- Non, de dos.
Noélie Coutard regarde Yvan Colonna, dans le box. “Pour moi, c’est clair, c’est net, c’est pas lui. Le premier était beaucoup plus grand, le deuxième, il était bien plus petit”.
Le président Dominique Coujard lit les procès-verbaux de ses premières dépositions, dans les jours qui ont suivi les faits. Elle avait décrit le premier, “pas plus de 1,70m, visage émacié, brun. 20-25 ans”. Et le deuxième, ”un blond, même taille”. Elle avait aussi décrit le caniche: “je suis formelle, il était bien de couleur noire”.
Toujours sur procès-verbal, elle avait observé, à propos du blond: “Ses cheveux ressemblaient à une perruque, car il était trop bien coiffé”.
L’avocat de la partie civile, Me Philippe Lemaire, prend son tour de questions. Agacé, d’abord.
- Madame, pensez-vous reconnaître formellement quelqu’un malgré la perruque?
- Euh, c’est vrai, que la perruque…
Dans le micro, la voix du témoin faiblit. Elle commence à lâcher prise, doucement. La voix de l’avocat s’arrondit, se creuse comme pour mieux la cueillir.
- Je comprends, madame, vous avez vécu une expérience très traumatisante…
- Oh oui ! soupire-t-elle.
- Donc, c’est difficile d’être formelle…
- Mmoui.
Me Lemaire se rassoit. En face, Me Gilles Simeoni se lève. C’est à lui que revient désormais le rôle de “remonter” le témoin vacillant que vient de lui livrer la partie adverse. Il lui sourit - “Bonjour madame Coutard”, et lui parle avec chaleur et empathie. Doucement, comme s’il s’adressait à une convalescente, il pioche dans les procès-verbaux les mots qui l’intéressent - un “grand”, un “blond” - et lui demande:
- “Vous confirmez ces propos, Madame Coutard?
- Tout à fait.
- Et vous nous avez dit à l’instant, corrigez-moi si je me trompe, que vous ne reconnaissiez pas Yvan Colonna?
- Oui, je suis formelle.
- Je vous remercie, Madame.
Me Pascal Garbarini prend le relais. Devant Noélie Coutard, il cite les propos tenus la veille par un autre témoin, Joseph Colombani, qui avait déclaré à la barre: “Quand j’ai vu Yvan Colonna, ça n’a pas fait tilt”.
- Est-ce que vous pourriez dire la même chose que ce témoin?
- Oui, exactement”.
Sa fille, Marie-Ange, lui succède à la barre. Profession: “croupière au casino”. [Dans le carnet, j’écris “caissière à Casino”, un confrère, vigilant, qui aperçoit mes notes, me corrige. La fragilité des témoignages est chose bien partagée].
“Nous sommes arrivées au niveau d’un restaurant. J’ai vu quelqu’un tirer par terre. J’ai dit à ma mère: “tiens, c’est bizarre”. Parce que, en Corse, la coutume, c’est qu’on tire en l’air, quoi.
- En tout, vous voyez combien de personnes? demande le président Dominique Coujard.
- Deux. Une en bas de la rue et la personne qui tire par terre. Le premier était brun, plutôt grand. Le 2ème était blond, de taille moyenne.
- Que vous reste-t-il de la première personne?
- Son regard, ses gestes, parce qu’il manipulait son arme et que, en même temps, il me regardait.
- Cette scène vous a-t-elle inquiétée?
- Non, pas du tout. En arrivant un peu plus tard chez ma tante, je la lui ai racontée en disant: “Il y a vraiment des débiles qui tirent par terre!”. C’est ensuite, en voyant un flash spécial à la télévision qu’on a appris”.
Me Simeoni intervient:
- A quelle distance du tireur étiez-vous?
- Il y avait juste une voiture entre nous.
- Donc, vous étiez à moins de 2 mètres. Vous avez conscience, mademoiselle, que vous êtes un témoin capital. Vous avez vu celui qui a assassiné le préfet Claude Erignac.
- Oui.
- Vous voyez M. Colonna. Pouvez-vous nous dire s’il correspond à la personne que vous avez vue ce soir là?
- Non, je suis formelle.
Soudain, la belle jeune femme au ton ferme, craque. “Je…je ne m’étais pas préparée à tout cela. Ce n’était pas possible. Je ne suis que témoin. A plusieurs reprises, j’ai voulu tout arrêter. Je l’ai dit à Madame Levert [l’une des trois magistrats anti terroristes qui a mené l’instruction]. Je n’en pouvais plus. J’ai eu l’impression d’être épiée, surveillée. A partir du moment où on m’a montré la photo d’Yvan Colonna et que j’ai dit que ce n’était pas lui, j’ai eu l’impression qu’on ne me croyait plus, que j’avais dit quelque chose qui n’arrangeait pas…”.
Elle se reprend. Evoque ce “tapissage” auquel elle avait été conviée en 2001. Parmi les hommes identifiés par des numéros qui défilaient devant elle, à l’abri d’une glace sans tain, figuraient Yvan Colonna, Pierre Alessandri, Alain Ferrandi. On lui avait demandé si, parmi eux, elle reconnaissait le tireur. Elle avait répondu non.
- “J’étais tellement traumatisée que je suis sûre que s’il y avait eu ma mère derrière cette vitre, je ne l’aurais pas reconnue”, dit-elle.
De part et d’autre du prétoire, on referme la chemise Coutard mère et fille. Les avocats de la défense retiennent que le témoin principal de l’assassinat du préfet n’a jamais reconnu Yvan Colonna. La partie civile relève qu’elle “n’aurait pas reconnu sa mère“.
Dedans, le procès continue. Dehors, deux femmes traquées dévalent les escaliers du palais de justice