diumenge, 16 de desembre del 2007

PROCES COLONNA, jour #3 - Portrait d'Yvan Colonna, suite et fin.


Dernier jour de l'examen de personnalité d'Yvan Colonna. Du "bon père de famille" à la "rudoyance" de l'étudiant en sports à Nice, Pierrette Serreri et Daniel Herrero livrent leurs sentiments. Mais le témoignage le plus émouvant est venu de Philippe Sougnac, un ami des années niçoises.


"Je ne vois toujours pas ce qu'il fait là". A la barre, Pierrette Serreri, compagne d'Yvan Colonna, termine presque sa déposition. Bien mise, vêtue de noir, les cheveux lâchés quand elle les retenait noués depuis deux jours, Pierrette Serreri l'avoue : "C'est difficile pour moi de parler de lui devant vous, il est mon compagnon." A quelques centimètres de Pierrette, la famille Erignac est penchée sur des notes. Pour masquer le malaise devant la compagne de l'asassin présumé de Claude Erignac ? Personne ne peut le savoir : la veuve et les enfants du défunt préfet se montrent, depuis deux jours, d'une extrême discrétion. Un magistrat questionne la mère de Ghjuvan'Battista : - "Parliez-vous politique avec M. Colonna ?" - "Non, répond le témoin; je n'ai jamais fait de politique, je ne suis jamais allée à une seule réunion." - "Et Yvan Colonna vous parlait-il de ses idées ?" poursuit le magistrat. - "Pas plus que ça. Il était militant nationaliste, il l'est toujours mais nous n'avions pas de discussions de ce genre." Conceptualisation, rudoyance et verbiage Deux minutes plus tard, voici la haute stature de Daniel Herrero qui saisit la barre à pleines mains. Au front, l'éternel bandeau rouge que l'ex-joueur de rugby ne semble jamais quitter. Herrero aime bien les adjectifs et les termes un peu compliqués. Avec son accent du sud, il décline les étapes de sa rencontre avec Colonna. "C'était dans les années 78 - 80, il était mon étudiant en pédagogie des sport collectifs. Très appliqué, je l'ai tout de suite remarqué." On apprend ainsi qu'Yvan Colonna était "très engagé dans la pratique, constant et participatif." Ah. "Solidaire et très volontaire, doué d'un véritable appêtit de l'engagment." Hum. Les choses vont se corser légèrement lorsque Daniel Herrero évoque "une capacité de conceptualisation, une composante relationnelle qui pouvait le mener jusqu'à une certaine forme de rudoyance." Bigre. Le président Coujard plisse le regard, scrutant les mots qui franchissent les lèvres d'Herrero pour en deviner le sens caché. Le problème, c'est qu'il n'y en a probablement pas : c'est juste la manière de parler du témoin. Une faconde ponctuée de "Tu vois ?" adressés aux magistrats. "Je savais peu de choses de sa vie, tu vois ? J'ai appris plus tard qu'il était reparti sur sa terre de Corse et plus tard encore, tu vois ?, j'ai été heureux de constater qu'en plus de son métier de berger, il est devenu éducateur bénévole." Quant à la personnalité de l'accusé, hormis cette fameuse tendance à la "rudoyance", on apprenait heureusement, à la fin de la déposition, qu'il "n'a jamais eu d'ego boursouflé". Magistrats et journalistes doutent un peu du ton, des mots. Heureusement, l'un des gendarmes de faction apporte un soutien inespéré à Herrero : "Vous ave vu comme il parle bien ? Ah ben, faut dire que c'est un pédagogue, hein." C'est sûr. "Tout nous séparait : il avait déjà ses idées, j'étais pied-noir." Le témoignage le plus émouvant viendra, ce matin, de Philippe Sougnac, un ami proche d'Yvan Colonna rencontré sur les bancs de la fac à Nice. D'une voix douce, cet homme de 47 ans - le même âge que Colonna - exprime sa difficulté à "supporter la charge émotionnelle". Il trouve les mots face à la famille Erignac : "Je voudrais dire à Mme Erignac et ses enfants que le soir du 6 février 1998, la Corse est tombée dans l'effroi." Il fixe le président Coujard dans un silence de plomb. "J'ai le privilège d'être devenu l'ami d'Yvan Colonna. Tout nous séparait : nous nous sommes rencontrés à Nice en 1978, c'était trois ans après Aleria. Il avait déjà ses idées nationalistes. Moi, je suis pied-noir. Il est issu d'une famille de gauche. Ma famille est de droite. Pourtant, nous nous sommes rapprochés parce qu'il allait toujours vers les autres. D'une voix entrecoupée de courts silences, nouée par l'émotion, Philippe Sougnac poursuit : "le besoin charnel de rentrer, de marcher dans la montagne était supérieur dans son esprit à celui de s'engager politiquement." A l'époque, se souvient le témoin, il avait même tenté de le dissuader de regagner la Corse. Avec une pudeur touchante, il explique avoir ressenti le départ d'Yvan Colonna pour l'île "comme une séparation sentimentale." Et lorsque le président Coujard l'interroge sur "l'enfermement" que peut incarner un choix de vie comme celui de l'accusé, Sougnac répond à nouveau, sans détour : "le regard d'Yvan a toujours porté plus loin que le Cap Corse et les Bouches de Bonifacio. Il s'est toujours intéressé au monde d'un point de vue économique, politique. Il est toujours resté humain."


Antoine Albertini